Six pieds sous terre
Le 6 juin dernier, plusieurs centaines d'égoutiers manifestaient au pied de la tour Eiffel pour protester contre le projet de réforme remettant en cause le statut relatif à l'insalubrité de leur métier et, par conséquent, leur départ à la retraite anticipé. Lancé en pleine affaire Clément Méric, le mouvement, pourtant suivi par l'ensemble de la profession, est passé inaperçu. Franck Saillant, 48 ans dont 23 au service des sous-sols du Val-de-Marne, en était. C'est à ses côtés que nous avons sillonné le réseau d'assainissement, à la découverte de ce métier ignoré.
Le rendez-vous est donné à 6h30 à Maisons-Alfort, sur la base de vie des égoutiers, le centre Mesly. Une fois l'ordre de mission reçu et la destination connue, nous partons vers Fontenay-sous-Bois. Le PC sécurité a été informé au préalable de la descente de façon à faciliter l'accès et, si besoin, de couper les vannes. L'équipe est composée de cinq agents. C'est le minimum pour une intervention car deux d’entre eux devront rester à la surface, mobilisés en permanence pour renouveler l'oxygène au fur et à mesure de notre avancée dans les conduits. Aujourd'hui, ce sont Romuald et Charly qui se chargeront, chaque cinquante mètres, de l'ouverture et de la fermeture d’un nouveau tampon (plaque d'égouts), pendant que Franck, Jessy et Karim interviendront sous terre. Le camion faisant office de vestiaire, les trois hommes se préparent pour la descente. Une paire de cuissardes, un casque, des gants et un masque auto-sauveteur - en cas de manque d'oxygène ou de présence de gaz dans les conduits - constituent l'équipement obligatoire.
Principale mission de la journée : effectuer un diagnostic exhaustif des différents branchements et raccordements de la conduite visitée, mais aussi relever les éventuelles dégradations afin de déterminer les travaux à prévoir. Munie d'un ordinateur et d‘un odomètre, la petite équipe avance les deux pieds dans les eaux usées, au rythme des relevés à effectuer et des Ahi ! » marquant l’arrivée à un nouveau tampon et la fermeture du précédent. Le travail est un peu rébarbatif », confie Franck qui, aux missions de diagnostic, préfère les visites d'entretien. Jessy est à l'odomètre, l'outil qui permet d’effectuer les mesures entre les différents branchements. Comme beaucoup, il est arrivé ici un peu par hasard, après dix années passées sous les drapeaux et une formation en électronique. Karim, âgé de 33 ans, est le plus jeune. C’est par l'intermédiaire d’un membre de sa famille, déjà égoutier, qu'il a intégré le métier.
Tant que ça sent, c'est que ça va »
L'équipe, qui plaisantait volontiers à l'aller, est maintenant des plus concentrées. L'espace est confiné, obscur et glissant. Des poutres métalliques nous coupent parfois la route. Le conduit, désormais en pente, crée une chute d’eau. On mesure la difficulté et la pénibilité du travail. Seule la lampe frontale et les puits de lumière des regards d’accès permettent de se guider. À la surface, Charly et Romuald doivent jouer avec la circulation et le marché pour assurer en permanence l’ouverture des tampons.
Quant à l’odeur, eh bien, tant que ça sent, c'est que ça va », diront les anciens... En effet, c'est plutôt l’absence d’odeur qui peut être signe de danger. Au fil de leur marche, les égoutiers sont susceptibles de crever des poches de gaz. Par mesure de sécurité, chaque agent porte un boîtier personnel signalant la présence de gaz toxique ou d’une variation anormale du taux d'oxygène. En cas d'alerte, l'égoutier devra arrêter de respirer, enfiler son masque et évacuer la zone. Si, au cours de l’intervention, l'équipe constate la présence de pollution, dont l'origine est bien souvent liée à la négligence d'industriels, teinturiers, garagistes ou autres restaurateurs, le chef d’équipe avertit sa hiérarchie, qui diligente alors une enquête.
Il est midi quand nous sortons des entrailles de la rue de Verdun, mais la journée n’est pas tout à fait terminée. Le temps de respirer un bon coup et nous voilà repartis pour tirer une chute », la dernière mission de la journée. Dans le jargon, il s'agit de vider les déchets stagnants des avaloirs à coups de pelles et à grande eau. Destination Le Perreux-sur-Marne, où Franck, Jessy et Karim s’engouffreront à nouveau sous terre.