« Les femmes sont très jalouses entre elles »
Alain, le danseur de Melun, en a éconduit une ou deux, qui l’avaient déjà épinglé plus tôt dans l’après-midi. Une autre se voit écourter son précieux tête-à-tête par l’interruption d’une tierce personne et, vexée, tourne les talons. « Les personnes de cet âge sont très exigeantes »,dira Alain après s’être excusé auprès de la boudeuse. Être taxi-danseur implique parfois de gérer des conflits. Au Club Vendôme à Paris, à deux pas de l’Opéra, Jean-Pierre, retraité de 64 ans, confirme : « Les femmes sont très attentives à ce que je fais. Si je me paie une récréation avec une bonne danseuse, elles peuvent me le reprocher. Elles sont très jalouses entre elles. »Il interprète cette attitude comme « une forte recherche de tendresse, de contact, que l’on sent tout de suite ».La relation peut également être difficile avec les hommes, selon Alexandre, de la ferme d’Arvigny : « Je suis là depuis trois ans et il y a des hommes qui ne m’ont jamais adressé la parole car je leur fais de l’ombre. »On peut l’accuser de favoritisme, lui assure ne pas avoir « d’idée derrière la tête. Je fais juste mon boulot. »
Derrière ce soupçon se cache l’idée qu’un taxi-danseur est avant tout un séducteur. Autrefois, les danseurs mondains, qui ont connu leur apogée dans l’entre-deux-guerres, alors que des milliers de femmes ont perdu mari et cavalier, étaient payés en pourboire. En 1968, Marcel Brion, aujourd’hui 85 ans, entamait, en parallèle de son travail de cuisinier sur le France, sa carrière de danseur mondain.« Les dames achetaient des bons pour une danse, qu’elles posaient devant elles sur leur table,se souvient-il. Il fallait faire vite pour les attraper car plus on avait de bons, plus on avait d’argent. » Quelques danseurs mondains ont peut-être réussi à vivre de cette activité, mais les taxi-danseurs d’aujourd’hui en font surtout un petit complément. Et ce malgré le boum des thés dansants et le débordement de cavalières.
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